Les sensations d’indigence, de dépendance et de besoin que le serviteur éprouve pour son Seigneur le poussent ainsi à se soumettre et à revenir continuellement à Lui. Ensuite, son cœur s’attache encore plus fortement par le biais de Son évocation, par la célébration de Sa louange et Sa gloire, par le fait qu’il s’engage fermement à Le satisfaire et à accomplir avec obéissance ce qu’Il aime.
Certains vertueux ont dit :
« Les lieux de repos dans la vie d’ici-bas s’atteignent en marchant ; et ceux de l’au-delà s’atteignent avec les cœurs[1]. »
C’est pourquoi on remarquera que le serviteur dont le cœur est attaché à son Seigneur – même s’il est occupé à vendre et à acheter, ou avec sa famille et ses enfants ou à toute autre occupation de la vie quotidienne – demeure sans cesse dans l’obéissance d’Allah et donne la priorité à ce qui satisfait Allah au détriment de ses propres plaisirs et passions, sans que les ornements de la vie d’ici-bas le détournent de la satisfaction de son Seigneur.
Allah a dit :
لَّيۡسَ ٱلۡبِرَّ أَن تُوَلُّواْ وُجُوهَكُمۡ قِبَلَ ٱلۡمَشۡرِقِ وَٱلۡمَغۡرِبِ وَلَٰكِنَّ ٱلۡبِرَّ مَنۡ ءَامَنَ بِٱللَّهِ وَٱلۡيَوۡمِ} ٱلۡأٓخِرِ وَٱلۡمَلَٰٓئِكَةِ وَٱلۡكِتَٰبِ وَٱلنَّبِيِّۧنَ وَءَاتَى ٱلۡمَالَ عَلَىٰ حُبِّهِۦ ذَوِي ٱلۡقُرۡبَىٰ وَٱلۡيَتَٰمَىٰ وَٱلۡمَسَٰكِينَ وَٱبۡنَ ٱلسَّبِيلِ وَٱلسَّآئِلِينَ وَفِي ٱلرِّقَابِ وَأَقَامَ ٱلصَّلَوٰةَ وَءَاتَى ٱلزَّكَوٰةَ وَٱلۡمُوفُونَ بِعَهۡدِهِمۡ إِذَا عَٰهَدُواْۖ {وَٱلصَّٰبِرِينَ فِي ٱلۡبَأۡسَآءِ وَٱلضَّرَّآءِ وَحِينَ ٱلۡبَأۡسِۗ أُوْلَٰٓئِكَ ٱلَّذِينَ صَدَقُواْۖ وَأُوْلَٰٓئِكَ هُمُ ٱلۡمُتَّقُونَ
« La bonté pieuse ne consiste pas à tourner vos visages vers le Levant ou le Couchant. Mais la bonté pieuse est de croire en Allah, au Jour dernier, aux anges, aux Livres et aux prophètes, de donner de son bien quelque amour qu’on en ait, aux proches, aux orphelins, aux nécessiteux, aux voyageurs, à ceux qui demandent l’aide et pour affranchir les esclaves ou racheter les prisonniers, d’accomplir la prière et de s’acquitter de l’impôt légal. Et ceux qui remplissent leurs engagements lorsqu’ils se sont engagés, ceux qui sont endurants dans la misère, la maladie et quand les combats font rage, les voilà les véridiques et les voilà les vrais pieux ![2] »
Et il a été authentifié dans les deux recueils authentiques [Al-Bukhârî et Muslim] que le prophète (g) a dit :
« Il y a sept types de personnes qu’Allah couvrira de Son ombre le jour où il n’y aura d’autre ombre que la Sienne… » Il a notamment évoqué parmi eux : «… un homme dont le cœur est attaché aux mosquées[3]. »
Le grand savant Ibn Hajar (r) a dit au sujet de ce hadith :
« Ceci marque le caractère inséparable de son cœur pour les mosquées même lorsque son corps se trouve à l’extérieur de celles-ci[4]. »
On remarquera cette expression éloquente « …dont le cœur est attaché ». Celle-ci souligne le fait que cet homme est continuellement en contact avec Allah le Très Haut, a constamment Ses ordres à l’esprit, sans que rien ne puisse le préoccuper ou l’en détourner.
C’est pourquoi Allah a dit :
فِي بُيُوتٍ أَذِنَ ٱللَّهُ أَن تُرۡفَعَ وَيُذۡكَرَ فِيهَا ٱسۡمُهُۥ يُسَبِّحُ لَهُۥ فِيهَا بِٱلۡغُدُوِّ وَٱلۡأٓصَالِ ٣٦ رِجَالٞ لَّا} تُلۡهِيهِمۡ تِجَٰرَةٞ وَلَا بَيۡعٌ عَن ذِكۡرِ ٱللَّهِ وَإِقَامِ ٱلصَّلَوٰةِ وَإِيتَآءِ ٱلزَّكَوٰةِ يَخَافُونَ يَوۡمٗا تَتَقَلَّبُ فِيهِ ٱلۡقُلُوبُ {وَٱلۡأَبۡصَٰر
« Dans des maisons [des mosquées] qu’Allah a prescrit que l’on élève, et que l’on y invoque Son Nom; Le glorifient sans cesse matin et après-midi des hommes que ni le commerce ni la vente ne distraient de l’invocation d’Allah, de l’accomplissement de la prière et de l’acquittement de la zakat (l’impôt légal) et qui redoutent un jour où les cœurs seront bouleversés ainsi que les regards.[5] »
Il a été rapporté dans un hadith authentique relaté par cAïshah que le messager d’Allah , une fois chez lui, servait sa famille – c’est-à-dire qu’il aidait ses épouses dans les tâches ménagères et autres. Mais à l’arrivée de l’heure de la prière, il sortait aussitôt pour l’accomplir[6] ».
L’imam Ibn Al-Qayyim décrit la dépendance envers Allah le Très Haut par les termes suivants :
« De par son sentiment d’indigence, le serviteur se refuse à adorer autre que son véritable Maître, à gaspiller le moindre instant dans autre chose que Sa satisfaction, ou à se soucier d’autre chose que de ce qu’Allah aime ou bien à accorder la priorité à autre que Lui, quel qu’il soit et quelle que soit la circonstance.
En conséquence, cette attitude et ces agissements conduisent le serviteur à l’état de servitude le plus pur, à l’établissement d’une relation intime entre Allah et lui, et à Lui vouer un amour particulier. Dès lors, le serviteur se réveille et se couche sans la moindre préoccupation hormis son Seigneur. Cette préoccupation pour son Seigneur l’a isolé de tout autre souci. Sa volonté a coupé court à toute autre ambition, et son amour [d’Allah] a effacé de son cœur tout amour voué à autrui[7]. »
Celui dont le cœur est attaché à Allah trouve une saveur dans l’obéissance et dans la soumission aux ordres d’Allah que nulle autre saveur ne saurait égaler ! « Ainsi, les ordres du Bien-Aimé deviennent la réjouissance des yeux, la joie des cœurs, le délice des âmes et le plaisir des esprits. En les accomplissant, on obtient la jouissance totale et absolue.
En effet, pour celui qui aime Allah, la réjouissance des yeux tout comme la gaieté du cœur, sa joie et son délice sont ressentis dans la prière et le pèlerinage, de même que dans le jeûne, le rappel (« dhikr ») et la récitation du Coran. Quant à l’aumône, on y trouve des choses vraiment étonnantes et merveilleuses.
En outre, le délice obtenu lors du Jihad, de l’appel au convenable, de l’interdiction du blâmable, de l’invitation vers la voie d’Allah (« dacwah ») et de la patience face aux ennemis de l’Islam est d’une toute autre saveur, à la fois indescriptible et inconcevable pour celui qui n’en a accompli aucune part. Et quiconque en accomplit le plus aura naturellement la part de plaisir la plus immense[8]. »
En revanche, les personnes les plus égarées et les plus en perdition sont assurément celles dont le cœur s’est attaché à autre qu’Allah . Et plus leur attachement à un autre que leur véritable Maître est prononcé, plus leur égarement et leur perdition sont accentués. C’est pourquoi la tendance du serviteur à pencher pour la vie d’ici-bas ou pour l’un de ses ornements est considérée comme un signe qui prouve qu’on lui voue en réalité une adoration.
Allah dit à cet effet :
{ أَفَرَءَيۡتَ مَنِ ٱتَّخَذَ إِلَٰهَهُۥ هَوَىٰهُ وَأَضَلَّهُ ٱللَّهُ عَلَىٰ عِلۡمٖ }
« Voix-tu celui qui a pris sa passion pour sa propre divinité et qu’Allah a égaré malgré sa connaissance [du bien et du mal][9]. »
Et le prophète a dit :
« Que périsse l’adorateur du dînâr, du dirham, du vêtement de velours et de l’habit de soie. Si on lui en donne, il est satisfait et si on le prive, il se met en colère. Qu’il périsse et malheur à lui ! S’il est piqué, il ne peut retirer l’épine[10]. »
Sheikh Al-Islâm Ibn Taymiyah a dit :
« Toute personne qui lie son cœur aux créatures en espérant qu’elles lui donnent la victoire, la subsistance ou qu’elles le guident, a en réalité asservi son cœur à celles-ci et leur a voué une adoration, proportionnellement à son degré d’attachement pour elles, bien qu’en apparence, il donne l’impression d’être le maître qui gouverne comme bon lui semble. En effet, la personne douée de raison tient compte de la réalité des choses et non de leurs apparences.
Ainsi, l’homme dont le cœur est attaché à une femme, même lorsque cette dernière est licite pour lui, restera à sa merci. Elle le commandera et disposera de lui de la manière dont elle voudra, même si en apparence il dispose de l’autorité que lui confère son statut d’époux sur elle.
Mais, en réalité, il n’est rien d’autre que son prisonnier et son détenu, qu’elle commande tel un despote, tyrannique et vainqueur de son esclave dominé qui ne peut se délivrer de lui.
Or, la capture du cœur est bien plus grave que celle du corps, de même que son asservissement.
En effet, celui dont le corps est capturé et rendu esclave n’a rien à craindre si son cœur reste détendu et paisible. En revanche, si le cœur – qui demeure le roi [des membres] – devient prisonnier, asservi et esclave d’un autre qu’Allah, alors il connaîtra de fait l’humiliation totale, la captivité absolue et la pleine dévotion pour celui qui a asservi son cœur. »
Puis il ajoute :
« Parmi les pires désastres que l’on puisse subir, il y a le fait que le cœur se détourne d’Allah. En effet, si le cœur goûte à la saveur de l’adoration d’Allah en toute exclusivité, alors il ne trouvera jamais une chose aussi savoureuse, délicieuse et pure que celle-ci[11]. »
Et l’imam Ibn Al-Qayyim a dit :
« Les gens les plus abandonnés sont ceux qui se sont attachés à autre qu’Allah. Et pour cause, les avantages, le bonheur et le succès qui leur ont échappé sont bien plus importants que ce qu’ils ont pu obtenir de leur attachement illusoire, puisque cela est voué à la disparition et à la fin. En effet, celui qui s’attache à autre qu’Allah est comparable à celui qui se protège de la chaleur ou du froid sous une toile d’araignée, alors qu’elle est le plus fragile des refuges[12]. »
Il dit aussi :
« Le fait que le cœur d’une personne se lie à autre qu’Allah, se consacre à un autre que Lui et penche vers autre que Lui est [en réalité] une forme de recueillement pour les idoles qui ont pris place dans son cœur. C’est en tout point comparable au fait de se recueillir devant les idoles que sont les statues. Ainsi, le polythéisme[13] que commettent les adorateurs de statues consiste à ce que leurs cœurs, leurs ambitions et leurs volontés soient consacrés à leurs idoles.
Aussi, si des idoles apparaissent dans le cœur, prennent possession de lui et l’asservissent au point qu’il se consacre pleinement à elles, cela sera comparable au recueillement des polythéistes devant leurs statues. C’est pour cette raison que le prophète a utilisé le terme « adorateur [du dînâr...] » pour désigner celui dont le cœur se consacre à autre qu’Allah. C’est également pour cela qu’il a invoqué Allah pour qu’il périsse et qu’il lui arrive malheur
[1] « Shadharât Adh-Dhahab » (vol. 2/p. 326).
[3] Rapporté par Al-Bukhârî (660) et Muslim (1031).
[4] « Fath Al-Bârî » d’Ibn Hajar (vol. 2/ p. 145).
[6] Rapporté par Al-Bukhârî (676).
[7] « Tarîq Al-Hijratayn » d’Ibn Al-Qayyim (p. 18).
[8] « Tarîq Al-Hijratayn » (p. 70).
[10] Rapporté par Al-Bukhârî (2887).
[11] « Majmûc Al-Fatâwâ » (vol. 10/p. 185-187).
[12] « Madârij As-Sâlikîn » (vol. 1/p. 458).
[13] NdT : ou association, tiré de l’arabe « shirk ».