Je retournai chez moi en pleurant de joie. J’appelai la sœur de la dame à qui j’avais parlé (nerveusement et en catimini, pour que ma mère ne m’entende pas!); elle accepta de m’aider et me dit qu’elle me rappellerait dans le courant de la semaine suivante. Nous étions vendredi et, le jour suivant, je me sentis suffisamment en confiance pour prononcer la shahada dès que j’en aurais l’occasion. Comme je ne voulais pas me défiler à la dernière minute, je priai Dieu de me donner la force et le courage de le faire lorsque viendrait le moment.
Ce fut très difficile, ce dimanche-là, lorsque je me rendis à la messe; je me sentais à la fois coupable et craintive et, comme tous ceux qui m’entouraient étaient, évidemment, chrétiens, je ne pouvais m’attendre à recevoir du soutien d’eux. La plupart d’entre eux croient que le Dieu des musulmans diffère de celui des chrétiens. Il y a même une personne de ma famille qui croyait que les musulmans adressent leurs prières directement à Mohammed (que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur lui)! Pas étonnant, alors, que je craignais à ce point de leur avouer mes réelles pensées. Heureusement, Dieu raffermit mon cœur.
Après ce jour béni où je décidai de m’en remettre à Dieu, je me sentis particulièrement tendue et agitée, car je savais que j’allais franchir une étape cruciale et je craignais la réaction de mes parents. Mais j’avais aussi très hâte de devenir musulmane. Pourquoi attendre?, me disais-je. Que m’arriverait-il si je mourais subitement, avant de m’être convertie? C’est alors que j’appelai le propriétaire du magasin de tissus et lui demandai s’il pouvait, avec un autre musulman, me servir de témoin pour que je prononce la shahadah. Après deux rendez-vous reportés (Dieu testait ma patience!), je finis par aller le rencontrer, avec sa femme et leur jeune fils, dans une voiture stationnée près d’un centre commercial local. La raison de ce lieu insolite pour prononcer la shahadah était que je pouvais m’y rendre seule, sans l’aide de mes parents (car je n’avais pas de permis de conduire). Je restai un moment, avec eux, dans leur voiture; ils m’expliquèrent certaines choses, sur l’islam, et me prêtèrent des livres sur le sujet. Lorsque vint le moment de prononcer la shahadah, j’avais l’impression d’avoir la langue nouée! Aujourd’hui encore, quand je repense au lieu où je me suis convertie, je ris à la pensée que j’ai prononcé la shahadah dans un stationnement! Et quelle métaphore! J’avais enfin trouvé un endroit où je pouvais me stationner pour de bon! C’était le 22 février 2011, le 18e jour du mois de Rabi-al-Awwal 1432. Et quel jour magnifique!
Jihad et joie
De retour chez moi, je n’avais pas encore tout à fait pris conscience de la réalité de ma conversion. Et je faillis avoir des ennuis avec mes parents, car je m’étais absentée plus longtemps que prévu et le soleil était déjà couché. Je m’excusai profusément, tentant de cacher ma crainte d’être démasquée. Je savais que j’allais devoir leur avouer la vérité tôt ou tard, mais je voulais le faire graduellement. Et c’est ce que je fis – le soir même.
Je parlai d’abord à ma mère. Je ne lui dis pas tout de suite que je m’étais déjà convertie; je lui dis seulement que j’étudiais sérieusement l’islam et que je ne lui en avais pas encore parlé parce que je craignais sa réaction. Elle réagit de la même façon qu’elle avait réagi lorsque j’étais devenue catholique : elle désapprouva mon choix, mais ajouta qu’à mon âge, j’étais libre de faire mes propres choix. Elle ne put s’empêcher, toutefois, de me conseiller d’être « prudente ». Au début, quand j’avais commencé à parler, elle avait répliqué « oh non, Stéphanie, non, non, non… ». Mais après que je lui eus expliqué certaines choses et déconstruis certains préjugés et idées reçues sur l’islam, elle voulut bien m’écouter. Elle voyait bien que j’étais sérieuse à ce sujet. Malgré tout, je me sentais désolée pour elle, car je comprenais que c’était trop d’informations nouvelles à absorber d’un seul coup et qu’elle peinait à réaliser ce que je lui disais. Mon père se montra un peu plus contrarié. Il me dit : « Tu peux t’habiller comme eux, si tu veux; mais de là à changer de religion! » Je trouvai difficile de le voir réagir ainsi, car je l’avais toujours considéré comme ouvert d’esprit.
Six jours après ma conversion, je me rendis à la mosquée pour la première fois. J’y fus chaleureusement accueillie par l’imam, qui me souhaita la bienvenue au sein de la grande famille musulmane. Prier pour la première auprès de mes sœurs en islam et être menée en prière par l’imam fut une expérience incroyable, même si j’étais relativement nerveuse pour cette première fois.
Dans les jours et les semaines qui suivirent, j’eus des moments de doute sur la justesse de mon jugement. Une semaine après ma conversion, quand je débutai mes leçons à la madrassah, je me sentis un peu submergée par la quantité de choses à apprendre et par ce changement soudain dans ma vie. C’est alors que ce sentiment de dépression, que je connaissais si bien, refit surface. Comment allais-je réussir à vraiment devenir musulmane? L’islam était si différent de tout ce que j’avais connu! Et comment expliquer à mes parents que je ne pourrais plus manger de jambon, de bacon et de porc? Que je devrais laver les ustensiles et les plats avant de les utiliser? Et que notre chien était « impur » et ne serait donc plus admis dans ma chambre? Un sentiment d’isolement grandissant menaçait de m’assaillir. Je me faisais du souci au sujet de ma vie spirituelle. Comment pouvais-je établir une vraie connexion avec Dieu si je ne comprenais rien de ce que je disais en récitant les prières en arabe? Le Dieu « musulman » m’apparaissait si distant et si vague, tout à coup, comparativement au Dieu « chrétien » dépeint sur les icones, qui m’était beaucoup plus personnel, familier et accessible, même si, en réalité, il s’agissait du même Dieu. J’étais habituée d’être entourée de crucifix et d’icônes de Jésus, de Marie et des saints catholiques, icones auxquelles j’avais l’habitude de m’adresser. Et maintenant, les murs de ma chambre étaient totalement dénudés – et cela m’effrayait.
Je dus affronter divers problèmes avec les membres de ma famille. Entre autres, je reçus un appel téléphonique de celle qui était ma marraine. Puis, je reçus des emails d’anciennes connaissances que j’avais connues par l’intermédiaire d’un groupe chrétien sur internet, et de mon ancien prêtre, qui m’écrivait pour me dire qu’un certificat de sacristain diplômé m’attendait à l’église! La supérieure d’un couvent où j’avais fait un séjour écrivit à ma mère pour lui dire qu’elle priait pour que je ne perde pas ma foi catholique! Lorsque j’avouai à une de mes connaissances chrétiennes que je m’étais convertie à l’islam, elle tenta de me faire changer d’avis en me disant que Jésus avait été blessé sur la croix et que mon geste le blessait encore davantage… Ce genre de discours ne m’étonna guère, car je l’avais entendu d’autres personnes également. Malgré tout, toute cette pression que j’endurais finit par sabrer mon moral. Il me fallut deux jours pour rassembler le courage de répondre à l’email de mon ex-prêtre. Il me répondit qu’il appréciait mon courage, tout en m’avouant qu’il lui était difficile, en tant que fervent catholique, de comprendre les raisons qui m’avaient poussée à embrasser l’islam. J’étais heureuse de voir que nous pouvions nous séparer en bon termes. Ma sœur apprit ma conversion par ma mère. Elle se montra étonnée, mais respecta mon choix une fois que je lui en expliquai les raisons par email. (Je réalisai, par le fait même, que ma mère avait parfaitement compris que j’avais quitté l’église catholique, ce qui me soulagea, car j’allais maintenant pouvoir cesser de me cacher et vivre ma foi ouvertement devant elle!) En me convertissant, j’avais décidé de ne pas parler de religion aux membres de ma famille, mais de seulement tenter d’être la meilleure sœur/fille/tante pour eux. Et c’est ce que je conseille à tous les nouveaux convertis : qu’ils demeurent eux-mêmes et se montrent bons envers les membres de leur famille.