« Toute communauté a son homme de confiance. Et l’homme de confiance de ma communauté c’est Abû cUbaydah ». [Muhammad, Messager d’Allah (e)].
Il avait le visage resplendissant, il était beau comme le jour, grand, fin et gracieux.
L’œil se reposait à sa rencontre, la poitrine s’apaisait en sa présence, on était bien en sa compagnie. Il était doux, d’une grande modestie et extrêmement pudique.
Toutefois, lorsque les choses se compliquaient et que la situation l’exigeait, il s’élançait tel un lion en furie. Il ressemblait à la lame de l’épée, tant dans sa splendeur et son éclat, que dans son tranchant et son exécution.
Tel était l’homme de confiance de la communauté de Muhammad (e) : cÂmir Ibn cAbdillah Ibn Al-Jarrâh Al-Fihrî le Qurayshite, surnommé Abû cUbaydah (h).
cAbdullah Ibn cUmar (k) a dit le décrivant :
« Trois personnes de Quraysh ont les visages les plus éclatants, les meilleurs caractères et la pudeur la plus affirmée. S’ils te parlent, ils ne te mentent pas et si tu leur parles, ils ne démentent pas tes propos : Abû Bakr As-Siddîq, cUthmân Ibn cAffân et Abû cUbaydah Ibn Al-Jarrâh ».
Abû cUbaydah faisait partie des tout premiers à avoir rejoint l’Islam. Il s’est en effet converti le jour suivant celui de la conversion d’Abû Bakr (h), qui était celui qui avait été la cause de sa conversion. Ce dernier l’avait conduit, ainsi que cAbdurrahmân Ibn cAwf, cUthmân Ibn Mazhcûn[1] et Al-Arqam Ibn Abî Al-Arqam au Prophète (e) devant lequel ils avaient proclamé la parole de Vérité. Ils furent ainsi les premières bases sur lesquelles fut érigé l’immense édifice de l’Islam.
Abû cUbaydah endura du début à la fin, la cruelle expérience des premiers Musulmans à la Mecque et subit avec eux, une brutalité, des souffrances et des peines qu’aucun adepte d’une quelconque religion sur la surface de la terre n’a jamais endurées. Il resta pourtant ferme dans l’épreuve et fut en toutes circonstances, véridique envers Allah (c) et Son Prophète (e).
Cependant, l’épreuve qu’Abû cUbaydah subira le jour de Badr dépassera tout ce que l’on peut dénombrer ou même imaginer.
Ce fameux jour, Abû cUbaydah s’élança et chargea les rangs ennemis comme quelqu’un qui ne craignait pas la défaite ni la mort. Voyant cela, les cavaliers polythéistes le redoutèrent et s’écartèrent de lui chaque fois qu’ils l’avaient en face.
Cependant, un homme parmi eux s’avançait vers lui mais Abû cUbaydah s’écartait de son chemin et se gardait de l’affronter.
Plus l’homme attaquait, plus Abû cUbaydah l’évitait. Jusqu’au moment où cet homme barra la route à Abû cUbaydah, se mettant définitivement entre lui et le combat des ennemis d’Allah. Alors, Abû cUbaydah n’en pouvant plus, lui assena un coup d’épée à la tête qui lui fendit le crane en deux. L’homme s’écroula sans vie devant lui.
N’essaie pas, noble lecteur, de deviner qui est cet homme mort. Ne t’ai-je pas dit que la cruauté de l’expérience a dépassé les frontières de l’imagination ?
Et tu auras surement mal à la tête, quand tu sauras que l’homme que notre héros vient de pourfendre n’est autre que cAbdullah Ibn Al-Jarrâh le père d’Abû cUbaydah.
Seulement, en réalité, ce n’est pas son père qu’Abû cUbaydah a tué, mais plutôt l’incarnation du polythéisme qu’il représentait. Allah a même révélé au sujet d’Abû cUbaydah et de son père des versets dans les Coran :
Il (c) a dit :
لَّا تَجِدُ قَوۡمٗا يُؤۡمِنُونَ بِٱللَّهِ وَٱلۡيَوۡمِ ٱلۡأٓخِرِ يُوَآدُّونَ مَنۡ حَآدَّ ٱللَّهَ} وَرَسُولَهُۥ وَلَوۡ كَانُوٓاْ ءَابَآءَهُمۡ أَوۡ أَبۡنَآءَهُمۡ أَوۡ إِخۡوَٰنَهُمۡ أَوۡ عَشِيرَتَهُمۡۚ أُوْلَٰٓئِكَ كَتَبَ فِي قُلُوبِهِمُ ٱلۡإِيمَٰنَ وَأَيَّدَهُم بِرُوحٖ مِّنۡهُۖ وَيُدۡخِلُهُمۡ جَنَّٰتٖ تَجۡرِي مِن تَحۡتِهَا ٱلۡأَنۡهَٰرُ خَٰلِدِينَ فِيهَاۚ رَضِيَ ٱللَّهُ عَنۡهُمۡ {وَرَضُواْ عَنۡهُۚ أُوْلَٰٓئِكَ حِزۡبُ ٱللَّهِۚ أَلَآ إِنَّ حِزۡبَ ٱللَّهِ هُمُ ٱلۡمُفۡلِحُونَ
« Tu n'en trouveras pas, parmi les gens qui croient en Allah et au Jour dernier, qui prennent pour amis ceux qui s’opposent à Allah et à Son Messager, fussent-ils leur pères, leur fils, leurs frères ou les gens de leur tribu. Il a prescrit la foi dans leurs cœurs et Il les a aidés de Son secours. Il les fera entrer dans des Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux, où ils demeureront éternellement. Allah les agrée et ils L'agréent. Ceux-là sont le parti d'Allah. Le parti d'Allah est celui de ceux qui réussissent[2]. »
Un acte pareil n’est pas étonnant de la part d’Abû cUbaydah. Ce noble compagnon avait en effet atteint un degré de foi en Allah (c), un dévouement pour sa religion et une loyauté envers la communauté de Muhammad (e) que des gens élevés auprès d’Allah rêvaient d’atteindre.
Muhammad Ibn Jacfar (h) nous raconte qu’une délégation de chrétiens {arabes} vint au Messager d’Allah (e) et dit :
- « Abâ Al-Qâsim ! Envoie avec nous un de tes compagnons que tu agrées afin qu’il tranche entre nous dans les litiges d’argent. Nous sommes satisfaits de votre jugement, ô Musulmans ».
- « Revenez ce soir, leur répondit le Messager, je vous enverrai un fort digne de confiance. »
- cUmar Ibn Al Khattab (h) dit : « Je suis donc allé de bonne heure à la prière de Zhuhr en espérant être la personne visée par ce qualificatif. Jamais je n’ai aimé le commandement comme je l’ai aimé ce jour-la. Quand le messager d’Allah (e) eut prié le Zhuhr avec nous, il se mit à regarder à sa droite et à sa gauche. Je me mis en évidence pour qu’il me voie mais il ne cessa de nous parcourir du regard jusqu’à voir Abû cUbaydah. Il l’appela et lui dit :
- « Pars avec eux et juge leurs litiges avec la vérité ».
Je me suis alors dit : c’est Abû cUbaydah qui l’a emporté ! ».
Abû cUbaydah n’était pas seulement digne de confiance, il était également très fort et cette force se révélera à plus d’une occasion. Elle se manifestera notamment le jour où le Messager (e) enverra un groupe de ses compagnons intercepter une caravane de Quraysh en désignant Abû cUbaydah comme chef. Le Prophète (e), ne trouvant rien d’autre que cela, leur donna comme seules provisions un sac de dattes.
Abû cUbaydah donnait une datte par jour à ses compagnons et chacun la suçait comme le bébé tète le sein de sa mère. Puis, ils buvaient de l’eau et cela leur suffisait jusqu’à la nuit.
Aussi, le jour d’Uhud, quand les Musulmans furent défaits et qu’un polythéiste se mit à crier :
- « Indiquez-moi Muhammad, Indiquez-moi Muhammad ! »,
Abû cUbaydah fut l’un des dix qui entourèrent le Messager (e) afin de le protéger de leur corps des lances des polythéistes. Quand la bataille s’acheva, le Messager (e) avait les prémolaires cassées, le front ouvert et deux anneaux de son bouclier enfoncés dans la joue. Abû Bakr (h) s’avança afin de les enlever mais Abû cUbaydah lui dit : « Je te conjure de me laisser le faire ». Abû Bakr le laissa donc et, craignant qu’en les enlevant avec ses doigts, il ne fasse mal au Messager (e), Abû cUbaydah mordit fortement le premier anneau avec une de ses incisives, l’enleva et son incisive tomba. Puis il mordit l’autre avec son autre incisive, l’enleva également et perdit sa seconde incisive. Abû Bakr (h) dit alors :
« De tous ceux qui avaient les dents de devant cassées, Abû cUbaydah était le meilleur ! ».
De plus, Abû cUbaydah participa avec le Messager (e) à tous les événements, depuis qu’il a commencé à l’accompagner jusqu’à sa mort.
Aussi, le jour d’As-Saqîfah[3], cUmar Ibn Al-Khattab (h) dit à Abû cUbaydah :
- « Tends ta main que je prête allégeance car j’ai entendu le Messager d’Allah (e) dire que toute communauté avait un homme de confiance et que tu étais cet homme de confiance ».
- Cependant, Abû cUbaydah rétorqua : « Je ne peux devancer un homme que le Messager d’Allah (e) a commandé de nous guider dans la prière et qui nous guidé jusqu’à sa mort ».
On prêta alors allégeance à Abû Bakr et Abû cUbaydah fut pour lui le meilleur conseiller dans la vérité et la plus noble assistant dans le bien.
Puis, quand Abû Bakr (h) légua le califat à Al-Fârûq, Abû cUbaydah lui fut loyal et ne lui désobéit qu’une seule fois.
Sais-tu quelle est cette chose sur laquelle Abû cUbaydah désobéit au calife des Musulmans ? Cela se produisit quand Abû cUbaydah était au Shâm menant les armées musulmanes de victoire en victoire jusqu’à ce qu’Allah (c) lui accorde la conquête de tout le Shâm et qu’il atteigne l’Euphrate à l’Est et l’Asie Mineure au Nord. A ce moment, une peste comme personne n’en avait jamais vu frappa soudainement la région et se mit à faucher les hommes comme on fauche les blés.
cUmar envoya alors un messager à Abû cUbaydah avec une missive disant :
- « J’ai besoin de toi pour une chose pour laquelle tu m’es indispensable. Par conséquent, si mon message te parvient de nuit, j’insiste pour que tu te mettes en route avant le matin et s’il t’arrive de jour, je t’ordonne de te mettre en route avant la nuit ».
- Quand Abû cUbaydah saisit la missive d’Al-Fârûq, il dit :
- « Je sais pourquoi le Commandeur des Croyants a besoin de moi. Il veut faire survivre quelqu’un qui est destiné à s’en aller ».
- Puis il écrivit : « Commandeur des croyants ! Je sais pourquoi tu as besoin de moi. Je suis cependant dans une armée de Musulmans et je ne veux pas me sauver de ce qui les atteint. Je ne veux pas quitter cette armée jusqu’à ce qu’Allah décrète Son ordre sur moi et sur eux. Par conséquent, quand mon message te parviendra, libère-moi de ton ordre et permets-moi de rester ».
Quand cUmar lut ce message, il pleura à chaudes larmes. Ceux qui étaient avec lui, le voyant pleurer ainsin lui demandèrent :
- « Abû cUbaydah est mort, ô Commandeur des Croyants ? ».
- « Non » répondit-il : « Mais cela ne saurait tarder ».
L’intuition d’Al-Fârûq ne l’avait pas trompé, malheureusement. En effet, peu de temps s’écoula qu’Abû cUbaydah fut à son tour, emporté par la peste.
Sur son lit de mort, il fit cette recommandation à ses hommes :
« Je vous recommande quelque chose que, si vous l’acceptez, vous serez toujours dans le bien : accomplissez la prière, jeûnez le mois de Ramadan, faites l’aumône, le Pèlerinage et la cUmrah, enjoignez-vous, soyez loyaux envers vos gouverneurs et ne les bernez pas. Que la vie d’ici-bas ne vous distraie pas car même si l’homme vivait mille ans, il ne saurait échapper à la mort qui m’est venue. Allah a certes décrété la mort pour les fils d’Adam, ils sont donc mortels. Le plus intelligent d’entre eux est le plus obéissant envers son Seigneur et le plus averti du Jour de sa Résurrection. Que la paix et la miséricorde d’Allah soient sur vous ».
Puis il se tourna vers Mucâdh Ibn Jabal (h) et lui dit : « Mucâdh, dirige la prière des gens[4] ».
Peu de temps après, son âme pure monta au ciel. Mucâdh se leva alors et déclara : « Ô gens, vous avez certes été frappés par la mort d’un homme qui – par Allah – jamais je ne vis quelqu’un de plus bon, ni de plus éloigné du vice, ni aimant plus la vie dernière, ni plus dévoué aux gens. Implorez donc la miséricorde pour lui, qu’Allah vous fasse miséricorde ! ».
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[1] Avant l’Islam, il faisait partie des arabes connus pour leur sagesse. Il assista à la bataille de Badr et mourut en l’an 2 de l’Hégire. C’est le premier Emigré à décéder à Médine et le premier à être enterré au cimetière d’Al-Baqîc.
[3] C’est le jour où l’on prêta allégeance à Abû Bakr (h). Ceci se déroula dans le préau des Banû Sâcidah.
[4] Ce qui signifiait qu’il l’avait désigné explicitement comme leur chef.